samedi 24 novembre 2007

Mesures de répression pour le téléchargement

Une quarantaine de pages, une quarantaine de signataires d’acteurs d’Internet et des industries culturelles et une mesure choc : la privation d’Internet pour les téléchargeurs multirécidivistes. Voilà le résultat de la mission Olivennes, du nom du PDG de la Fnac, dont le rapport a été remis vendredi en grande pompe à Nicolas Sarkozy à l’Elysée, en présence des ministres de la Culture, Christine Albanel, de l’Economie, Christine Lagarde, et de la garde des Sceaux, Rachida Dati. Façon sans doute de souligner que la justice apportera tout son concours à l’application d’un nouveau volet répressif totalement inédit. Devant des patrons de majors comme le PDG d’Universal, Pascal Nègre, des sociétés d’auteur comme la Sacem, de professionnels du cinéma (Guy Verrechia d’UGC, Nicolas Seydoux de la Gaumont, le réalisateur Claude Berri) mais aussi d’artistes tels Patrick Bruel ou Marc Lavoine, Nicolas Sarkozy a salué des mesures qui, dit-il, vont aider à instaurer un «Internet civilisé» en France. Après avoir improvisé sur les grèves – à l’étonnement de la centaine de convives présents, Nicolas Sarkozy a salué un accord «équilibré et solide» et fustigé le piratage assimilé à «des comportements moyenâgeux où, sous prétexte que c’est du numérique, chacun pourrait librement pratiquer le vol à l’étalage».

Le constat

Pour Denis Olivennes, l’objectif est atteint. Faisant le constat que la France est un des pays où l’Internet à haut débit est le plus développé, la pratique du téléchargement illégal parmi les plus répandues et les industries culturelles les plus fortes de la planète, il entendait «désinciter» les internautes au piratage en le rendant «coûteux et compliqué». Alors que l’industrie du disque a enregistré une nouvelle baisse de son activité de 22 % sur les neuf premiers mois de l’année et que les ventes de DVD commencent à baisser dans l’Hexagone, la mission fait le pari, en se basant sur des exemples étrangers, que de simples avertissements suffisent dans la majorité des cas à dissuader les internautes de s’adonner à ces pratiques illégales. Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, les messages d’avertissement expérimentés par Time warner Cable ou Bristish Telecom ont suffi dans 90 % des cas, selon le rapport, à mettre fin à ces pratiques.

le dispositif

De ce constat naît l’idée d’un retour à une riposte graduée, nouvelle mouture inspirée notamment de la politique mise en place pour le permis de conduire : deux messages d’avertissement puis le passage aux sanctions. La mission recommande une première suspension de l’abonnement de dix à quinze jours en cas de récidive puis, stade ultime, une résiliation du contrat de l’abonné et son «blacklistage» sur un fichier des interdits d’Internet d’une durée non définie mais qui pourrait tourner autour d’un an.

«Je veux bien que l’on m’accuse d’être liberticide, ironise Olivennes, mais quatre avertissements pour en arriver là, ça ne me paraît pas être un régime de sanctions digne de la Chine ou de la Corée du Nord.» A qui incombera-t-il de constater le délit et d’en apporter la preuve ? Afin d’éviter tout soupçon de mise en place d’une police privée des réseaux, l’accord propose la création d’une autorité administrative indépendante. Placée sous le contrôle d’un juge «en sorte de garantir les droits et libertés individuelles», c’est à elle qu’il reviendra d’avertir les fautifs puis d’ordonner la coupure de leur abonnement aux fournisseurs d’accès en cas de récidive. Un dispositif préféré à celui des amendes dont il reste à peaufiner les contours – qui du juge ou de l’autorité ordonnera les sanctions – mais qui s’annonce de grande ampleur. «On a opté pour un système plus dissuasif que répressif mais il ne sera efficace que si son application est massive et systématique», prévient Denis Olivennes. A bon entendeur, salut !

Les critiques

Dissuasif pour ses partisans, le système instaure surtout un «gouvernement par la peur» pour ses détracteurs. Dès vendredi, de nombreuses voix se sont élevées pour condamner ces mesures. Alors que la ministre de la Culture, Christine Albanel, les juge «très raisonnable et éloignée du tout répressif», l’UFC-Que choisir évoque une «surenchère répressive». Si l’opposition condamne les mesures par la voix des députés socialistes Christian Paul et Patrick Bloche, qui évoquent des réponses «inquiétantes» et «la tentation de surveillance permanente du Net, en dehors de tout crime ou procédure judiciaire», quelques voix de la majorité y vont aussi de leur couplet anti-Olivennes. Les députés UMP Marc Le Fur et Alain Suguenot «déplorent et condamnent» la création de cette «autorité publique qui aurait compétence pour prendre des sanctions à l’encontre des internautes téléchargeurs» au nom du refus de «cette véritable juridiction d’exception».

les voies de contournement

Reste à mesurer l’efficacité de telles mesures qui passeront par le parlement et dont le coût financier pourrait être élevé. Divers spécialistes mettent déjà en garde contre les innombrables moyens de contourner ces mesures. Selon eux, les grands réseaux d’échange publics que sont les systèmes de pair à pair (P2P) vont se transformer en réseaux privés de type Darknet cryptés et anonymisés. «Le P2P n’est que la partie émergée de l’iceberg», juge l’un d’entre eux qui évoque également le recours possible au wi-fi et au détournement des adresses IP – le spouffing – afin de contourner ces mesures.«Nous n’avons jamais dit que nous allions éradiquer le piratage, conclut Olivennes, mais seulement le rendre plus compliqué et plus coûteux pour les petits téléchargeurs ordinaires. Si c’est le cas, je considère que nous aurons rempli notre rôle.»


(Copie d'un article paru dans libération le 24/11/07)

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